l'atelier

Gilbert Dupuis – 8 rue Nationale, 35000 Rennes – tél.: 02 99 79 22 47

 



Un retour de préhistoires (suite)


Quelqu’un ne disposant pas des connaissances approfondies sur la préhistoire qui, de plus, évoluent avec les découvertes de nouveaux sites d’une part et avec les progrès technologiques d’autre part, est donc un amateur, un curieux ou un Candide. Cette dernière posture permettrait quelques remarques.

L’efficience.
Face à l’étonnement réitéré sur la qualité des tracés de beaucoup d’œuvres les plus célèbres telles à Lascaux, Pech Merle, Chauvet …un Candide, qui a peint et gravé, aurait une forme de réponse. La recherche d’efficience de ces œuvres, voire de toute œuvre, serait une condition sine qua non de leur réalisation. L’efficacité serait d’abord la façon dont les figures apparaissent, pour attirer d’autant mieux vers elles des qualités attribuées aux référents chevaux, bisons, mammouths … mais les tracés paraissent beaux parce que ce sont des tracés qui sont fortement présents par la volonté des humains quelle que soit la finalité d’usage exact – pourra -t’on le préciser - ou quelles que soient les suppositions sur leur sens littéral. Il aura fallu d’abord que ce soit convaincant.
En particulier, l’on pose comme problème que la qualité d’une courbe gravée ne le cède en rien à celle qui est peinte. Pour un artiste ayant manié le pinceau comme le burin, rien d’étonnant à cela... Un amateur d’art remarquera simplement, pour prendre un exemple, qu’un burin de Dürer a les mêmes qualités dynamiques qu’une mine d’argent de Dürer. Le burin même très affûté est ce qui subirait le plus de résistance en son tracé dans le métal, alors que la mine d’argent est ce qui pourrait être le plus véloce sur le papier. La qualité du tracé dépend de celui qui œuvre. Déposer du matériau sur une surface ou enlever du matériau dans une couche superficielle, sont deux procédés et le contrôle du geste est celui de l’opérateur.

Le geste aveugle.
À cette question sur la même autorité visible sur un trait peint ou gravé - une trajectoire dans l’espace matériel- on peut rapprocher la question sur cette faculté d’avoir pu œuvrer dans parfois une pénombre ou même une obscurité complète. Tous les exemples de pratiques liées à la main dans les arts visuels pourraient montrer que la trace du geste décisif ne se voit pas au moment même où il se fait. Pour la gravure, on note couramment pour le burin, que l’on pousse dans le métal et que c’est donc toute la main et non pas seulement la pointe qui cache ce qui est en train de se tracer. D’où la nécessité d’une maîtrise où l’intuition doit précéder l’action. Le résultat ne peut se voir qu’a posteriori. Même dans la pointe sèche que l’on tire et que l’on oppose traditionnellement au burin, on peut dire à l’extrême que le trait était d’abord sous la pointe de l’outil avant que l’on puisse le voir. Pour la photographie elle-même, on a pu remarquer qu’au moment où la prise de vue se fait, l’appareil ferme l’œilleton du « reflex » pour capter la lumière sur la pellicule. Un instant plus court que pour les chambres noires. Pour l’empreinte, la rencontre minimum d’un corps sur une surface, les empreintes de main négative sont aussi à découvrir une fois que la main a été enlevée du support.
Ces exemples ne sont pas exhaustifs de toutes les manières de faire qui suppose une vision a posteriori. Il y a donc eu apprentissage du geste et en particulier apprentissage de la trajectoire dans l’espace qui produira le dessin. En interrogeant différentes pratiques, on pourrait retrouver « l’évidence » de cet apprentissage du geste sans la vue. Dans nos écoles d’art, certains pratiquent l’exercice de répéter un tracé les yeux fermés, mais il y a aussi d’anciennes voire immémoriales traditions. Dans l’écriture chinoise et en particulier pour en faire un art, la mémoire du caractère est gestuelle, comme un enchaînement rythmique d’appuis et de relèvements d’un outil sur un support. Nous pouvons voir des individus, rechercher dans cette mémoire corporelle un caractère chinois provisoirement oublié en appuyant rythmiquement d’un doigt sur la paume de l’autre main et en regardant ailleurs ou en fermant les yeux. L’enchaînement des traits est donc acquis, mémorisé et repris avec des variations d’outils, de matières, de tailles et d’expression. Le caractère chinois est composé d’un nombre limité de traits codifiés. Les données figuratives d’une figure traditionnelle de la préhistoire, mettons 30000 ans d’un mammouth, ne peuvent laisser supposer une absence de tradition, d’éducation, de techniques, d’habitudes et de capacités même ordinaires. Que ce soit dans l’obscurité ou dans la clarté des lampes, l’enchaînement rythmique des gestes nécessaires sera donc disponible. Peut-être peut-on dire que la qualité, la complexité de certains ensembles avaient besoin de l’analyse visuelle dans la durée de l’exécution d’une fresque, d’autres non, plus proches peut-être de l’ex-voto que du spectaculaire. Jean Clottes, au cours de ces rencontres, disait de l’homme préhistorique : « (…) il voit le bison, il fait le bison (…) ». Cette réactivité à modifier les circonvolutions des parois montrent aussi que le bison était une des figures imposées et présupposées qu’il pouvait traiter à sa manière mais aussi organiser avec beaucoup d’initiatives. En fait, il pouvait voir le bison, s’il souhaitait voir un bison. D’ailleurs le même relief de la grotte de Cougnac a pu servir à provoquer le tracé d’un élégant mégacéros aussi bien qu’à un autre moment celui d’un massif et schématique mammouth.

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Mégaceros et mammouth de la grotte de Cougnac* (détail).

 

L’actualité de l’ouverture du musée du Quai Branly, qui aurait pu s’appeler « le musée des arts premiers », a fait émerger une polémique sur la question de savoir s’il s’agissait d’une collection d’œuvres d’art ou d’objets cultuels. Pour Jean Clair, par exemple, il s’agirait d’un « entassement » d’objets de cette dernière catégorie. Mais, si l’on suit cette affirmation, faudrait-il enlever du Louvre toutes les peintures et sculptures qui avaient une fonction religieuse par exemple ? N’ont-elles pas souvent fait des séjours dans les temples et les églises pour les célébrations du culte ? N’y en a-t-il pas encore de la même facture in situ ? On pourrait dire la même chose pour d’autres fonctions qui n’en sont pas moins souvent ou toujours des glorifications. Si plus de trente mille ans de représentation, prétexte, de bisons et autres se sont épuisés ou presque épuisés, ce serait par la réorganisation de la demande sociale en fonction des variétés locales des rites et religions occultant un rapport au monde premier.

Encore que le correcteur orthographique et automatique du logiciel d’écriture me prévienne : Cet adjectif suit rarement le nom, pour un artiste l’art est toujours premier.

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G. Dupuis, Rennes, août 2007

 

*copie publication/net Rencontres des Causses du Quercy, 2005/2006 ARPEC, sur site www.préhistoire-art-mains.com, Photo Grotte de Cougnac.

 



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